Il était une fois un homme seul au fond de sa cellule, enchaîné par ses liens virtuels. Fine gâchette du numérique, d’une précision inégalée dans ce far-west implacable, il faisait glisser son doigt sale sur un écran poussiéreux à l’image de sa pensée glissant sur la toile cirée de son aveuglement.
La cellule était ouverte. Il était là, l’esprit désarticulé. Que lui était-il arrivé ?
Doué d’une Intelligence Atone, sa réalité, insouciante et silencieuse défilait devant ses yeux. Une vie d’ubiquité dans laquelle s’étaient confondus plaisir et bonheur, une vie de pulsion et de plaisir assouvies. Sécurité et plaisir. Que demander de mieux dans cette cellule crasseuse loin de toute âme qui pensent ?
Il leva les yeux. Il était pâle et semblait inconscient. Avait-t-il pris un coup sur la tête ? il était visiblement blessé. Son discernement était touché. Pourtant il fixa l’objet comme une cible, comme un trophée indéboulonnable. Il s’en goinfrait nuit et jour, au point que son objet dégoulinait d’uniformité et de pensée unique à la limite de la crise de foi voire du coma numérique.
Soudain, son objet émit un son doux et apaisant assorti d’une vibration excitante à la limite de l’humanité. Il tressaillit, s’ébranla tel un robot abîmé reconnectant ses circuits. Un son mécanique et aigu sortit de sa gueule.
La lumière du message reçu se reflétait dans ses petites lunettes souples et rondes lui donnant, un fugace instant, l’esprit brillant d’Henry Fonda dans « Il était une fois dans l’ouest ».
Cette lumière monochrome était pâle et irrésistible. L’homme avait été beau. L’Homme avait été humain un jour. Son visage aujourd’hui ne dégageait aucune humanité, aucune aspérité, aucun défaut. Il était froid et sévère, un regard mécanique et un sourire bien huilé.
Recroquevillé au fond de son âme tel un automate décérébré, il ressemblait à un robot comme ceux que l’on trouve dans la vitrine de l’Indien, du vendeur de rêve, quoique ce pantin à plume dans la vitrine avait quelque chose d’humain.
Son inconsistance, sa pauvreté d’esprit, sa dégénérescence de cœur laissait pourtant à l’homme une place insoupçonnée pour quelque chose de troublant. Une lumière inattendue, un chef d’oeuvre inconnu. Qui était- il ?
Dehors, défilait la vie. Le soleil rutilant rebondissait au crépuscule de l’aube naissante, insouciant lui aussi, jouant chaque jour à la même heure avec le cycle de la vie. La nature déclinait sa partition en d’innombrables échos que seule la smart faune pouvait discerner.
Touché par la grâce d’une humanité encore vivace, l’homme dans sa cellule décida d’en sortir, laissant ainsi les autres individus isolés et désœuvrés dans la noirceur de leur cellule virtuelle. Il se leva et s’appuya à la lucarne de sa conscience. Il fut ébloui et aveuglé par la lumière de la vie. Sa main droite fébrile était posée sur son objet, prête à dégainée à la moindre agression sonore. Rien ne vint si ce n’est le cycle de la vie.
Alors qu’il se retournait vers sa cellule et sa couche, comme bousculé par la chaleur de ses sens et la redécouverte de ses émotions, se refléta soudain un scintillement au fond de sa rétine, le réenchantement de son humanité ostracisée par son âme durant la conquête du numérique.
L’homme seul dans sa cellule avait encore le choix. il avait le pouvoir de renverser la table et de déposer son arme.